AULNAY-SOUS-BOIS – Suite aux remous provoqués par l’affaire Théo, dans laquelle un policier serait mis en examen pour viol non délibéré et trois autres pour violences involontaires, nous avons retrouvé le gardien de la paix sur lequel le témoignage du jeune homme, l’examen médical, ainsi que la vidéo de surveillance sont venus jeter l’opprobre alors qu’il s’apprêtait à fêter la Saint Valentin.
Nous retrouvons l’ainsi-surnommé « Barbebleue », libéré sous caution, dans son studio face à la Cité des 3000. Il jette un regard pensif par la fenêtre. En contrebas, des jeunes gens encagoulés aux slogans sibyllins viennent troubler le calme de notre rencontre. Comment a-t-il vécu la tourmente médiatique ?
BB : C’est pas facile, vous savez. Et puis, ça arrive tellement vite. Un jour, on est là avec les collègues, à casser du bamboul—du bambou, vous savez, pour faire des cabanes pour les enfants du quartier. On prend notre métier très à cœur, vous savez. Moi ce que j’aime c’est étaler du beur—du beurre sur mes tartines après une dure journée passée au service du peuple. Tout le monde est bien content qu’on fasse tous ces contrôles d’identité, sinon qu’est-ce qu’on ferait de nos journées ? On passerait la journée au poste à jouer à la belote et à rigoler au sketch de Kev Adams sur les chinto—sur le Shintoïsme, c’est un garçon plein de finesse, vous savez. Entre ça et les cabanes en bambou, nous sommes foncièrement à l’écoute des besoins de nos compatriotes franco-jaunes. Vous savez, comme en Italie, les romans jaunes. Les romans policiers, quoi. Vous mettez pas en tête de me coller un titre sans rapport avec mes propos. Un jour, on est là avec les collègues, à faire notre boulot, puis le lendemain tout dérape. Comme le disait Nietzsche, « Blue Lives Matter », ou dans la langue de Molière, « Les Bleus vivent matière ».
Je tente de le ramener au sujet des accusations portées contre lui par le jeune garçon issu de l’immigration au regard fuyant. Sa vie avant, elle était comment ?
BB : Pas bien compliquée. Je vis seul, comme vous voyez, mais c’est mon chez moi, et j'y suis bien.
Pas de madame Barbebleue, donc ?
BB : Non, pour tout vous avouer elles restent pas bien longtemps. (Il s’arrête, soudain ému.) Et je le vis mal, vous savez, parce qu’au fond je suis resté ce grand garçon sensible qui mettait des pétards dans le cul des chats du terrain vague derrière le collège Céline. (Prenez votre temps.) Merci. Vous savez, c’est vraiment qu’un énorme malentendu, toute cette histoire avec Théo.
Dites-nous tout. La France veut connaître la vérité derrière l’affaire Théo.
BB : Je vais vous dire, quand on fait des études pour devenir policier, on nous apprend une chose et une seule. « La loi, c’est comme l’éducation : à un moment, faut que ça rentre. » Et nous, on fait pas autre chose. La loi, rien que la loi.
Théo, je le connais de longue date. Depuis le lycée. Enfin, depuis que lui est au lycée ; moi, au bout de la cinquième fois, le brevet j’en avais marre. Un jour, il a fait swipe droit sur une photo de mon torse, et c’était l’osmose.
Donc vous nous annoncez en exclusivité que vous aviez une relation avec Théo ? Consensuelle, qui plus est ? Quelle belle histoire d’amour impossible ! Et je comprends enfin tous ces cadenas sur votre placard. Mais la matraque, alors ?
BB : Oui, bon. Vous savez, dans le feu de l'action… Théo et moi, on était comme ça, on avait nos trips. Un soir, après l’amour, on a traîné sur un tumblr un peu cuir-moustache, un peu fifty-shades, quoi, qui faisait l’apologie des relations maître-esclave à connotation vaguement raciste, mais en restant, toujours, dans le respect absolu de l’autre. C’est pour ça, je l’ai traité de négro, mais c’est notre trip à nous, ça le fait bander comme un âne !
Pour faire l’avocat du diable, certains diront que ça n’explique pas la matraque. Ni la présence de trois de vos collègues. Ni la plainte pour viol.
BB : Tout ça, c’est du jeu de rôle un peu poussé, voilà tout. Tout cela était parfaitement consensuel. Et accidentel. Mais consensuel. Je suis encore profondément blessé par la trahison de ce sale gosse, mais son joli petit cul me manque encore. Pour moi, c’était parfaitement consensuel, et il m’a jamais dit non. Enfin si, il criait pour qu’on le laisse tranquille, mais c’est un bottom un peu expressif, c’est tout. On a bien un safeword, c’est pas de ma faute s’il me l’a jamais demandé.
Mais la matraque…
BB : Ma matraque, on y touche pas. Y’a que moi qui y touche, compris ?
Il sort un trousseau de clés de sa poche, défait les multiples verrous sur la porte du placard.
BB : Matez pas !
Une odeur immonde émane du placard. Je tente d’en savoir plus.
BB : Oui, bon, ça c’est l’Antillais du dessous. Vous savez bien, la bouffe de ces gens-là… On a beau les avoir colonisé, c’est eux qui nous en foutent plein le côlon. Tenez, voici ma matraque. Je la bichonne, vous avez pas idée. Jamais je ne ferais quoi que ce soit pour l’abîmer. Les gens qui disent que j’aurais pu la mettre dans un endroit aussi infâme…
Mais l’état de Théo, alors…? Sans dire mot, il se met à caresser sa matraque télescopique, le regard plein d’amour. Il la serre contre lui, l’embrasse, la lèche, lui murmure des petits riens.
BB : Ma matraque, c’est sacré. Elle a jamais mal à la tête. Elle s’en fout d’avoir des fleurs, des chocolats, des pilules du lendemain. Et elle, elle me quittera jamais. Pas vrai ? Mmm, qu’est-ce que t’es belle.
Je tends le cou pour voir ce qu’il y a dans le placard sans attirer l’attention de Barbebleue. On dirait un tas de vêtements. Un truc qui ressemble à une culotte. Une main de femme. Subitement, je n’ai pas très envie d’en savoir plus.
"Monsieur l’agent, ce fut un plaisir, mais ah, il se fait tard, hein, j’ai mon RER dans deux minutes, amusez-vous bien, passez une bonne Saint Valentin, félicitations, enfin bon courage !"
D’un rapide hochement de tête, il me congédie pour se dévouer à sa dulcinée. Je manque d’appeler le 17, puis me ravise. Finalement, les 3000 c’était pas si mal.
Artillerie Lourde souhaite une bonne Saint Valentin à tous les amoureux, aux célibataires endurcis, ainsi qu’aux chèvres de confort de l'armée du califat.
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